Pourquoi la coordination des services à domicile est un défi ?

La prise en charge à domicile des personnes âgées a changé de visage ces dernières années. Selon la DREES, plus de 1,4 million de Français de plus de 60 ans bénéficient régulièrement de l’aide d’un service à domicile (DREES). Face à la multiplication des intervenants (services d’aide, soins infirmiers, portage de repas, ergothérapeutes, etc.), la coordination devient un véritable casse-tête : retard d’informations, doublons, oublis, risque de rupture dans la prise en charge…

Or, la qualité de vie à domicile dépend beaucoup du bon enchaînement des interventions, de l’adaptation de l’accompagnement et de la fluidité de l’information entre tous les acteurs : famille, aidants professionnels, médecins, structures, etc. Les outils numériques sont venus répondre à ce besoin en offrant une communication plus simple, une meilleure traçabilité et, in fine, une prise en charge plus sûre et personnalisée.

Qu’est-ce qu’un outil numérique de coordination ?

Un outil numérique de coordination désigne toute plateforme, application ou solution digitale permettant de centraliser, organiser, planifier et partager des informations autour de l’accompagnement d’une personne à domicile. Leur but : supprimer les silos, accélérer les échanges, fiabiliser les données et rendre visibles les interventions passées et à venir.

  • Les plateformes collaboratives accessibles en ligne (web ou mobile),
  • Les applications mobiles dédiées à l’organisation des soins,
  • Les logiciels métiers pour les structures d’aide,
  • Les dispositifs connectés intégrant des alertes et des remontées d’informations automatique (objets connectés, télésuivi, etc.).

Quels sont les principaux outils numériques utilisés en France ?

L’écosystème des solutions s’est enrichi, encouragé par la feuille de route “Ma Santé 2022” et l’arrivée des territoires de soins numériques (Ministère de la Santé). Voici les plus emblématiques, testés et validés, qui facilitent réellement la coordination :

1. Les plateformes de coordination multi-acteurs

  • Terr-eSanté : Démarche collective déployée en Île-de-France par l’ARS, elle offre un espace sécurisé de partage d’informations pour tous les intervenants autorisés autour d’un patient (ARS IDF). Les médecins, infirmiers, aides à domicile, familles y accèdent en temps réel pour échanger documents, consignes, plannings.
  • ViaTrajectoire : Plus centrée sur l’orientation et la coordination lors des transitions (hospitalisation, retour à domicile, recherche d’institutions). Cette plateforme, désormais nationale, compte plus de 16 000 structures et favorise la fluidité des parcours seniors (Site officiel).
  • Omnidoc : Très utilisée pour les avis spécialisés entre médecins, elle tend à intégrer la filière “personnes âgées” pour favoriser les passages d’informations dans la coordination gérontologique, notamment en EHPAD à domicile.

2. Applications de gestion du planning et de tâches

Elles permettent d’organiser, planifier et tracer les interventions. C’est utile aussi bien pour des sociétés prestataires que pour des aidants familiaux.

  • Medisys et DomusVi Domicile : Logiciels métiers pour services d’aide à domicile, permettant d’attribuer les tâches, de signaler les alertes : oublis, retards, incidents… Ils intègrent la télégestion, qui assure un pointage précis et permet une facturation juste.
  • Morgan Santé : Application mobile disponible pour les aidants professionnels et familiaux, permettant de partager les comptes-rendus de visites, la consommation de médicaments, le suivi d’évènements imprévus.

3. Carnets de liaison numériques

  • Familizz : Carnet de liaison digitalisé pour échanger informations, photos, consignes et messages entre professionnels et familles. Ce type d’outil remplace le cahier papier et favorise une communication continue, même à distance.
  • Ma Vie Facile : Un “journal de bord numérique” utilisé par plusieurs réseaux d’aide à domicile : toute évolution de l’état de santé ou évènement du quotidien y est enregistré et visible par tous les acteurs autorisés.

4. Télésurveillance et objets connectés

La télésurveillance médicale, remboursée depuis 2023 par l’Assurance Maladie sur certains protocoles, permet une prise en charge proactive : les professionnels sont alertés en cas de variation inhabituelle des constantes du senior (tension, poids, activité…). Selon l’enquête France Silver Eco 2022, près de 450 000 personnes âgées utilisent déjà un dispositif de télésurveillance ou des objets connectés (bracelets d’alerte, balance, piluliers…).

  • Linkedcare : Ce portail regroupe données de santé, alertes de sécurité, et messagerie sécurisée pour prévenir toute rupture du suivi.
  • Solutions d’équipement : Des acteurs comme Bluelinea ou Libify proposent bracelets connectés et appareils de suivi compatibles avec les plateformes citées plus haut.

Quels bénéfices concrets pour les seniors et leurs proches ?

  • Réduction des oublis et des incidents : En 2020, la Fédération des Services à Domicile (FESP) estimait à 20 % le taux d’oubli ou de doublons dans les interventions à domicile non coordonnée (FESP). Le passage aux outils digitaux a permis de réduire ce taux à moins de 8 % pour les réseaux équipés, évitant répétition des soins ou absence d’intervention.
  • Réactivité accrue : Les signalements sont traités en temps réel : un changement d’état de santé, une absence repérée, un incident… L’information remonte instantanément vers le coordinateur et les familles, ce qui favorise la prise de décision rapide.
  • Diminution du stress pour les familles : Pouvoir suivre à distance, être informé d’un simple “clic” rassure. Selon le baromètre TNS Sofres 2021 (Familles et numérique), 73% des aidants familiaux ayant accès à un carnet de liaison digital se déclarent “beaucoup plus sereins”.
  • Optimisation des coûts : Pour les structures, les outils numériques proposent des fonctions d’optimisation du planning, de mutualisation des trajets et d’élimination des surcoûts liés à une mauvaise coordination. D’après l’étude KPMG 2023, cela représente une économie moyenne de 12 à 18% sur une année pour un service d’aide à domicile doté d’outils numériques.
  • Meilleure prévention des situations à risque : Les anomalies sont détectées plus tôt : chute, errance, dénutrition… L’alerte envoyée à temps permet d’éviter une hospitalisation (source : rapport HAS 2023 sur les innovations numériques en gérontologie).

Quelles précautions et limites des outils numériques de coordination ?

Le développement du numérique amène aussi son lot de défis :

  • Respect du secret professionnel : Toutes ces solutions doivent être conformes au RGPD, le règlement européen sur la protection des données. Les accès sont tracés et ne peuvent pas être ouverts “à tous vents”. Il existe un référentiel Ségur Numérique pour les professionnels du secteur.
  • Fracture numérique : Si les acteurs professionnels y gagnent, certains seniors et familles restent moins à l’aise avec ces outils. Pourtant, selon France Silver Eco, plus de 60% des plus de 75 ans utilisent aujourd’hui régulièrement un smartphone ou une tablette pour garder le lien (chiffre 2024), et 31% sont d’accord pour que leur dossier de suivi soit partagé numériquement avec leurs proches.
  • Interopérabilité : Il reste des progrès à faire pour que tous les acteurs (hospitals, aide à domicile, médecins libéraux, etc.) puissent consulter et compléter la même information, sans avoir à saisir plusieurs fois les mêmes données.

Comment bien choisir un outil de coordination numérique ?

Le choix dépend des besoins de la personne et des acteurs impliqués. Voici quelques critères pratiques à considérer :

  1. Sécurité : Le respect du RGPD et l’habilitation “Dossier Médical Partagé“ (DMP) sont primordiaux.
  2. Facilité d’utilisation : L’expérience utilisateur doit être simple, claire, adaptée à tous niveaux, avec une version mobile et web si possible.
  3. Compatibilité : L’outil doit pouvoir échanger des données avec d’autres applications utilisées par les différents partenaires du parcours.
  4. Fonctionnalités “plus” : Notification en temps réel, messagerie sécurisée, tableau de bord partagé, interactivité avec objets connectés…
  5. Accompagnement à la prise en main : Un déploiement réussi repose sur une formation initiale et une assistance technique accessible.

Dépasser les idées reçues : le numérique pour (réellement) renforcer l’autonomie

Le numérique n’est pas l’ennemi du lien, bien au contraire. Il peut renforcer la qualité des relations et l’efficacité des services à domicile, à condition de rester un outil au service de l’humain, jamais un substitut à la présence bienveillante. Pour les seniors eux-mêmes, l’appétence au digital progresse : en 2023, 46% des 65-80 ans plébiscitaient les solutions innovantes pour allier sécurité et liberté chez eux (étude Ifop pour la Fondation Korian).

Rester chez soi, même en avançant en âge ou en situation de fragilité, c’est possible, et pas au prix d’un isolement fataliste ou d’une perte de contrôle. Les outils numériques de coordination ouvrent la voie vers des parcours personnalisés, plus sûrs, qui légitiment le projet de “domicile pour la vie”.

L’avenir ? Combiner toujours plus d’accessibilité, d’interopérabilité et de co-construction avec les seniors et leurs proches. L’enjeu éthique et organisationnel est immense, mais il porte en lui la clé d’une véritable nouvelle génération… du bien vieillir autonome et connecté.

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